[ L’interview Première Fois n°11 ] Quitter l'entreprise familiale pour bâtir sa propre histoire : le parcours de Francis-Edouard Pollet

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Dans ce onzième épisode, Hervé Van Rijn interviewe Francis-Edouard Pollet, dirigeant et fondateur de Cigoire : des concepts stores qui réinventent le commerce de centre-ville avec des créateurs émergents.

Quand l’héritier choisit sa propre voie : Francis-Édouard Pollet, de Promod à Cigoire

 

 

Imaginez grandir avec un prénom transmis de génération en génération, dans l’ombre bienveillante de deux géants du retail français : Promod et La Redoute. Imaginez que votre chemin professionnel semble écrit d’avance, avec un poste de directeur général qui vous attend. Et imaginez avoir le courage de tout quitter pour créer quelque chose qui vous ressemble vraiment. C’est l’histoire de Francis-Édouard Pollet, invité du onzième épisode de “L’Interview Première Fois” par Hervé Van Rijn. Dans cette conversation d’une rare sincérité, cet entrepreneur partage son parcours : celui d’un homme qui a osé refuser un héritage prestigieux pour reprendre sa liberté et créer Cigoire, un concept store qui réinvente le commerce de centre-ville.

L’héritage : quand le prénom raconte déjà l’histoire

Francis-Édouard Pollet porte un nom lourd de sens dans le monde du retail français. Fils de Francis Pollet, fondateur de Promod, et petit-fils de Francis Pollet qui dirigea La Redoute, il incarne l’aîné d’une dynastie entrepreneuriale.

Je pense qu’on peut parler un petit peu de conditionnement, mais à la fois aussi d’un passé vraiment très riche“, confie-t-il.

Dès son plus jeune âge, son objectif était clair : travailler chez Promod et reprendre l’entreprise familiale.

Un chemin qui semblait “tout tracé”, nourri par l’admiration pour un père passionné par son entreprise. Mais avant de lui ouvrir les portes de Promod, son père lui impose une condition : faire ses preuves ailleurs. Une décision sage qui permettra à Francis-Édouard de passer six ans chez New Works, dans l’impression de documents, avant de rejoindre l’enseigne familiale.

 

Six ans d’apprentissage intensif chez Promod

En 2004, à 30 ans, Francis-Édouard intègre Promod par la porte du terrain : responsable de boutique à Boulogne-Billancourt. L’accueil n’est pas toujours chaleureux, il se heurte notamment à une adjointe qui espérait le poste.

C’est là où j’ai vu ce que c’était qu’un climat conflictuel“, se souvient-il. Une première leçon de management qui lui apprendra à construire pas à pas son équipe.

Son parcours s’accélère ensuite : responsable de région après un an et demi, puis directeur des pays Espagne et Portugal basé à Madrid pendant trois ans et demi. C’est dans cette période qu’il découvre sa véritable passion : l’animation d’équipes et l’approche client.

L’apogée de son parcours chez Promod sera le poste de directeur commercial groupe, avec la gestion des stocks, le marketing, la logistique et une partie du réseau Asie-Moyen-Orient. À cette époque, Promod compte plus de 1000 magasins répartis dans 55 pays. Un périmètre immense qui le transforme en “businessman“, comme il le dit lui-même, multipliant les voyages entre centres commerciaux et aéroports.

 

Le piège de la projection : quand se former pour demain fait perdre aujourd’hui

C’est alors que tout bascule.

Le directeur général de l’époque lui annonce qu’il le choisit pour le remplacer dans quelques années. Une consécration pour celui qui rêvait de diriger l’entreprise familiale. Mais cette annonce cache un piège invisible.

Le fait de mettre en situation une personne dans un poste qu’il aura dans quelques années… on ne vit pas le moment présent et on se projette déjà“, analyse-t-il avec le recul. Pendant un an, il est en observation à la centrale d’achat, sans véritable poste opérationnel. “J’avais plus l’image d’un hamster qui roule dans une roue sans fin“, confie-t-il.

Cette période de formation censée le préparer à la direction générale devient paradoxalement celle où il réalise qu’il n’est pas à sa place. Trop de réunions politiques, trop de sujets qui le dépassent, trop de distance avec le terrain qu’il aime tant.

 

Le choix de la liberté : annoncer l’impensable

Francis-Édouard Pollet se définit comme quelqu’un d’intègre, incapable de se mentir à lui-même. Quand il sent qu’il ne peut pas donner le meilleur de lui-même, il prend une décision radicale : quitter Promod.

Je ne veux pas être dans un placard avec un gros salaire. Ce qui m’importe, c’est d’avoir une vie où je puisse vraiment porter du fruit.

Le jour où il annonce sa décision à son père est un moment clé. “Je crois qu’il est tombé de sa chaise“, raconte-t-il. Mais curieusement, son père est aussi “enchanté”, car lui-même avait quitté La Redoute à 30 ans pour créer Promod.

Selon une étude souvent citée dans l’écosystème entrepreneurial, 82% des dirigeants qui créent leur entreprise le font pour la liberté. Francis-Édouard ne fait pas exception, mais il ajoute une dimension supplémentaire : “C’est un mélange de liberté et de quête d’identité.

Reprendre son prénom, son nom, sa vie professionnelle. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le nom de son entreprise, Cigoire, est son propre surnom.

 

De la feuille blanche à Cigoire : réinventer le commerce

Face à la page blanche, Francis-Édouard s’inscrit à une formation entrepreneuriale appelée Audace. C’est là qu’il comprend que “ce qui compte, c’est d’avoir l’idée qui nous correspond” et d’avancer par micro-itérations, en acceptant les échecs.

Son idée naît de son expérience chez Promod. Il a observé une industrie qui court après l’efficacité à tout prix : standardisation, collections copiées, production à l’autre bout du monde.

Au nom de cette efficacité, il y en a un qui trinque : c’est la planète“, résume-t-il.

Il imagine alors l’exact opposé d’un centre commercial un samedi après-midi : pas de bruit, pas de transpiration, pas de vêtements par terre. Il crée d’abord des événements shopping éphémères (2015-2017) dans des lieux inspirants : hôtels particuliers, usines désaffectées, jardins. Le concept séduit, mais après douze événements entre Lille, Paris et Bruxelles, le constat est clair : ce n’est pas viable économiquement.

Arrive alors le pivot. Francis-Édouard revient à ce qu’il connaît le mieux : le commerce de centre-ville.

Il ouvre une première boutique rue Esquermoise à Lille, avec un concept innovant : rassembler sous un même toit des créateurs émergents et responsables, avec une rotation régulière de l’offre.

 

Un commerce militant et rentable

Cigoire ne se contente pas d’être un joli projet. C’est un modèle qui “démontre qu’on peut être économiquement viable tout en étant responsable, affirme Francis-Édouard.

L’entreprise repose sur trois piliers :

  1. L’économie responsable : mettre en lumière des créateurs qui produisent localement, avec des produits bien finis et des prix acceptables. “Quand on consomme, on vote“, rappelle-t-il.
  2. La dimension sociale : un accueil authentique des clients, une organisation horizontale pour les équipes (le faible turnover en témoigne) et un véritable accompagnement des créateurs.
  3. L’impact sociétal : contribuer à redynamiser les centres-villes en proposant une alternative au “jeu de chaises musicales” des enseignes traditionnelles.

Paradoxalement, quitter l’entreprise familiale a permis à Francis-Édouard de retrouver une relation apaisée avec son père. “Aujourd’hui, on a une relation qui est au beau fixe”, se réjouit-il. Son père le soutient dans son aventure entrepreneuriale, et son frère Julien a repris Promod avec des engagements forts sur les enjeux sociétaux et environnementaux.

Un père désire au plus profond de son for intérieur d’avoir des enfants épanouis, qui puissent porter du fruit, qui soient autonomes“, explique-t-il. Et pour Francis-Édouard, la liberté d’être son propre patron, d’avoir la vie qu’il a choisie, “ça n’a pas de prix”.

 

Conclusion : la transmission n’est pas une obligation

L’histoire de Francis-Édouard Pollet pose une question essentielle aux dirigeants d’entreprises familiales : faut-il transmettre à tout prix à la génération suivante ?

Sa réponse est claire : “Une entreprise familiale, par définition, c’est le projet du fondateur. Ce n’est pas le projet de ses enfants.

Selon lui, sauf engagement vraiment libre d’un héritier qui rachète l’entreprise, il vaut parfois mieux que l’aventure s’arrête à la première génération.

Pour lui-même, il n’imposera jamais à ses enfants de reprendre Cigoire. Il veut s’assurer que “chacun puisse prendre sa voie“. Une belle leçon d’amour et de respect.

Son témoignage résonne comme un encouragement pour tous ceux qui, dans l’ombre d’un héritage familial ou professionnel, hésitent à tracer leur propre chemin. Parfois, le plus grand acte de courage n’est pas d’accepter ce qui nous est offert, mais de créer ce qui nous ressemble vraiment !

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