[ L’interview Première Fois n°12 ] Affronter ses peurs pour continuer à grandir : les confidences du co-fondateur du Comptoir Volant

De la camionnette aux 400 000 burgers : l’histoire d’un entrepreneur qui a osé sauter malgré le vertige

César Toulemonde n’avait pas le profil type de l’entrepreneur à succès.

Pas de vision claire, pas de business plan bétonné, pas même cette confiance en soi inébranlable qu’on attribue souvent aux créateurs d’entreprise. À la sortie de ses études parisiennes, ce fils de Roubaix était simplement dans le flou, un peu perdu, sans réelle vocation. Le salariat ne l’attirait pas, il s’y sentait enfermé. Alors il a fait un choix qui pourrait sembler paradoxal : devenir entrepreneur… par défaut.

Mais ce serait mal comprendre César que de s’arrêter à cette formule prononcée avec humour. Car derrière ce “par défaut” se cache en réalité une philosophie profonde qui guide aujourd’hui chacune de ses décisions : le choix du cœur.

Pour lui, l’entrepreneuriat n’était pas un plan B, c’était le seul cheval qu’il pouvait monter sans avoir besoin de l’accord de personne d’autre que lui-même. Le seul chemin qui dépendait uniquement de sa volonté.

L’aventure du Comptoir Volant commence dans une camionnette, sur les parkings d’entreprises de la métropole lilloise. César et Greg, son associé et ami, allaient chercher les patates dans les Flandres avec leur voiture pleine à craquer, travaillaient dans le froid, ne se payaient pas. Leur chiffre d’affaires peinait à atteindre les 100 000 euros. Mais à chaque petite victoire, à chaque étape franchie, ils ressentaient une fierté immense.

Ces années difficiles n’étaient pas une épreuve à endurer, c’était leur école, leur formation accélérée à l’entrepreneuriat.

Douze ans plus tard, cette camionnette roule toujours, comme un symbole de leurs débuts modestes. Mais autour d’elle, l’empire s’est construit : quatre adresses dans la métropole, cinquante collaborateurs, près de 400 000 burgers servis chaque année, et une réputation qui dépasse largement les frontières de Lille.

Le Comptoir Volant est devenu une référence du burger bien fait, celui qu’on mange pour se faire du bien, pas juste pour se remplir l’estomac.

Ce qui rend l’histoire de César si inspirante, c’est justement cette capacité à avoir transformé ses fragilités en forces. Là où d’autres auraient vu leurs doutes comme des obstacles, il en a fait des alliés. Pour lui, un dirigeant plein de certitudes est un dirigeant en danger. Les peurs ne sont pas des ennemies à fuir, ce sont des signaux à écouter, des trains qui passent devant nos yeux et qu’il faut avoir le courage de regarder, même si on ne saute pas dedans immédiatement.

Cette philosophie du doute assumé se marie avec une exigence radicale : ne travailler qu’avec des personnes avec qui il se sent bien, avec qui il pourrait partir en week-end. Dans le monde impitoyable de la restauration, ce principe peut sembler naïf. Pourtant, c’est peut-être cette authenticité qui fait la différence.

Avec Greg, son associé, ils ont construit leur entreprise sur la confiance et le respect mutuel, deux piliers qu’ils entretiennent comme un trésor précieux. Sans Greg, César le dit sans détour, il n’aurait jamais osé sauter dans le vide.

Aujourd’hui, à quarante ans, César fait face à une nouvelle peur : celle de sortir de sa propre cible. Les clients du Comptoir Volant ont majoritairement entre quinze et quarante-cinq ans. Ses collaborateurs sont de plus en plus jeunes.

Comment rester le bon dirigeant pour une entreprise qui lui ressemble de moins en moins ? Comment continuer à vendre des burgers quand on prend soin de sa santé et qu’on vieillit ?

Ces questions, loin de le paralyser, le poussent à se réinventer, à chercher les bonnes personnes pour comprendre comment le marché évolue.

Car c’est peut-être ça, le vrai secret de César : accepter de ne jamais avoir toutes les réponses. Rester en mouvement, en questionnement, refuser le confort qui endort.

La liberté, cette valeur qu’il chérit par-dessus tout, a un prix : celui du risque assumé, du stress, des nuits courtes. Mais pour lui, c’est le seul moyen de rester vivant, de ne pas s’endormir dans une zone de confort qui finit toujours par devenir une zone de danger.

Quand on lui demande de quoi il est le plus fier, César hésite. La fierté n’est pas un sentiment naturel chez lui. Mais après un silence, il confie quelque chose de profondément touchant : il est fier d’avoir emmené le petit garçon qu’il était, ce gamin plein de doutes et de questions, vers une vie aujourd’hui heureuse. Fier d’avoir construit avec Greg une belle entreprise et de belles familles. Fier d’être entrepreneur et parent dans un secteur réputé difficile.

L’histoire du Comptoir Volant n’est pas celle d’une success story linéaire et sans accroc.

C’est l’histoire d’un homme qui a osé monter sur un cheval alors qu’il avait le vertige, qui a sauté dans le vide parce qu’un ami lui a dit “je saute avec toi“, qui a transformé ses peurs en moteur de croissance et ses doutes en curiosité créatrice.

C’est l’histoire d’un entrepreneur qui a compris que la vraie réussite ne se mesure pas seulement en chiffre d’affaires, mais en capacité à rester fidèle à ses valeurs, à faire les bons choix du cœur et à continuer d’avancer malgré l’incertitude.

Aujourd’hui, quand César croise cette fameuse camionnette qui continue de sillonner les rues de la métropole, il doit sans doute sourire en pensant à tout le chemin parcouru. Non pas avec nostalgie, mais avec la conscience aiguë que c’est justement ce chemin difficile, semé de doutes et de peurs affrontées, qui a fait de lui l’entrepreneur et l’homme qu’il est devenu !