[ L’interview Première Fois n°11 ] Quitter l'entreprise familiale pour bâtir sa propre histoire : le parcours de Francis-Edouard Pollet
Francis-Édouard Pollet : reprendre son nom, sa liberté, son entreprise
Francis-Édouard Pollet a grandi avec un prénom qui ne lui appartenait pas vraiment.
Troisième Francis de la lignée, il est le petit-fils du fondateur de Promod, petit-fils du dirigeant de La Redoute. Dès l’enfance, une seule certitude : il travaillerait chez Promod et reprendrait l’entreprise familiale. Un chemin tracé d’avance, comme une évidence.
Mais son père pose une condition avant de lui ouvrir les portes : faire ses preuves ailleurs. Il travaille alors six ans chez New Works, dans l’impression de documents, avant de pouvoir rejoindre l’enseigne familiale. En 2004, à 30 ans, Francis-Édouard intègre enfin Promod comme responsable de boutique à Boulogne-Billancourt. L’accueil n’est pas chaleureux. Une adjointe qui espérait le poste lui fait comprendre qu’il pique sa place. Les RH lui apprennent à monter un dossier, pas à pas. Une première leçon managériale.
Les six premiers mois sont compliqués : ambiance féminine, réflexes nouveaux, décalage d’âge. Puis quelque chose se déclenche. En un an et demi, il devient responsable de région. Puis direction l’Espagne et le Portugal, basé à Madrid pendant trois ans et demi. Il découvre sa vraie passion : l’humain, les équipes, l’approche client, le merchandising. Le cœur du métier.
À cette époque, Promod rayonne sur 55 pays avec plus de 1000 magasins.
Puis arrive ce qui devait être la consécration. Le directeur général l’appelle : “C’est toi que je choisis pour me remplacer comme futur directeur général de Promod.” Le Graal. Le rêve d’enfance à portée de main. Mais pour se préparer, Francis-Édouard doit passer trois ans en formation. Il observe pendant un an à la centrale d’achat, sans véritable poste opérationnel.
L’intention est bonne, la réalité douloureuse. “On ne vit pas le moment présent et on se projette déjà sur le poste tel qu’il sera.“
Il obtient ensuite la direction commerciale groupe : stocks, marketing, logistique, réseau Asie-Moyen-Orient. Un sacré périmètre. Mais quelque chose ne va pas. Les sujets le dépassent, l’ambiance politique l’étouffe, les réunions sans fin l’éloignent du terrain.
“J’avais plus l’image d’un hamster qui roule dans une roue sans fin.” Et surtout, cette sensation sourde, persistante : il n’est pas à sa place.
Francis-Édouard se définit comme quelqu’un d’intègre, incapable de se mentir à lui-même. “Si je continue dans cette voie, progressivement, j’allais peut-être perdre la vie que j’avais en moi.” Il annonce à son père qu’il quitte Promod. “Je crois qu’il est tombé de sa chaise.” Surpris, étonné, mais aussi enchanté. Parce que lui-même avait quitté La Redoute à 30 ans pour créer Promod.
Selon les études, 82% des dirigeants créent leur entreprise pour la liberté. Francis-Édouard ajoute une nuance : “C’est un mélange de liberté et de quête d’identité.“ Reprendre sa vie, son prénom, son nom. D’ailleurs, il créera Cigoire : son propre surnom.
Face à la page blanche, il s’inscrit à une formation entrepreneuriale et comprend une chose essentielle : “Ce qui compte, c’est d’avoir l’idée qui nous correspond.” Son idée naît de son expérience chez Promod. Il a vu une industrie qui court après l’efficacité : standardisation, collections copiées, production délocalisée.
“Au nom de cette efficacité, il y en a un qui trinque : c’est la planète.” Il s’imagine un samedi après-midi dans un centre commercial : bruit, transpiration, vêtements par terre, files d’attente. “Qu’est-ce que je peux faire à l’opposé de ça ?“
Entre 2015 et 2017, il crée des événements shopping éphémères dans des lieux inspirants. Des créateurs émergents, un bar, un resto éphémère. Du vendredi soir au dimanche. Douze événements par an entre Lille, Paris et Bruxelles.
Le concept séduit mais le verdict tombe : ce n’est pas viable économiquement. Il revient alors à ce qu’il sait faire : les boutiques de centre-ville. Le concept s’affine : regrouper ces créateurs émergents et responsables sous un même toit, avec une rotation régulière.
Cigoire devient un commerce militant et rentable.
“On démontre qu’on peut être économiquement viable tout en étant responsable.“
Des produits bien faits à prix acceptables, une organisation humaine et horizontale, une contribution à la redynamisation des centres-villes. “Quand on consomme, on vote“, rappelle Francis-Édouard.
Paradoxalement, quitter l’entreprise familiale a renforcé la relation père-fils. “Aujourd’hui, on a une relation qui est au beau fixe.” Son père le soutient, fier du chemin parcouru.
Aujourd’hui, Francis-Édouard a une conviction forte sur la transmission : “Une entreprise familiale, par définition, c’est le projet du fondateur. Ce n’est pas le projet de ses enfants.” Il ne poussera jamais ses propres enfants à reprendre Cigoire.
Si c’était à refaire ?
“Je re-signe tous les jours. Le fait de pouvoir être son propre patron, d’avoir la vie que l’on a choisi, ça n’a pas de prix.“
Qui est Francis-Edouard Pollet ?
Francis-Édouard Pollet est le fils de Francis Pollet, fondateur de Promod, et le petit-fils de Francis Pollet qui a dirigé La Redoute. Après six ans d’expérience chez New Works, il a passé près de dix ans chez Promod, de responsable de boutique à directeur commercial groupe, supervisant plus de 1000 magasins dans 55 pays. En 2014, alors qu’un poste de directeur général lui était promis, il choisit de quitter l’entreprise familiale pour créer Cigoire, un concept store qui met en lumière des créateurs émergents et responsables dans les centres-villes. Une décision motivée par un besoin profond de liberté et de quête d’identité, loin du chemin tracé par son héritage familial.





